Vous avez déjà vécu cette expérience : vous poussez la porte d’un appartement pour la première fois et il vous semble entrer dans la tête du propriétaire. Vous êtes frappés par l’évidence. Les fringues éparpillées comme après une tornade racontent, les murs dépouillés et blancs racontent, les spaghettis d’une semaine entortillés dans la grille de l’évier racontent, les photos à la gloire de la famille encadrées en format 70×100 au milieu du salon… Oui. Indéniablement. L’intérieur dévoile notre histoire personnelle.

Ces dix premières années de sa vie aux USA dont il parle avec une lumière dans les yeux qui ne trompe pas […]

Mardi 18 juin, les programmateurs d’I’m from Rennes ont poussé l’expérience au-delà des limites déjà éprouvées au cours des précédentes éditions. Nous étions une petite cinquantaine à nous rendre joyeusement à notre rendez-vous secret, dans un appartement de Rennes, sous le soleil doux de la fin de journée, à peine distraits par l’équipe vidéo ultra-mobile qui enchaîne les micro-trottoir depuis le début du festival. Nous allions écouter Guillaume Fresneau, ReDeYe de son nom d’artiste.

Assis sur un tabouret au milieu du salon de nos hôtes, il prodigue sa folk souple et profonde, un tapis de sable où déroulent, d’une voix chaude, ses souvenirs d’enfance au Texas. Car son nouvel album, intitulé THE MEMORY LAYERS (les couches de mémoire) – petit bijou sonore taillé à Denton, une ville à une soixantaine de kilomètres de Dallas -, n’est rien d’autre qu’une plongée dans ses souvenirs intimes. Redeye l’a écrit et composé en hommage à son enfance heureuse. Ces dix premières années de sa vie aux USA dont il parle avec une lumière dans les yeux qui ne trompe pas et nous fait dire, ce gars-là a eu de la chance et il le sait. D’où cette musique apaisée, forte, tranquille et sûre d’elle-même sans fioriture.

Nous étions donc, pour notre plus grand bonheur, plongés dans l’histoire personnelle de ReDeYe, lui-même installé dans un appartement qui raconte l’histoire personnelle d’une famille, et cette double intrusion, qui n’est pas sans rappeler le concept d’Inception (mais en positif !), nous laissait ravis. Calmes. Enrichis de ces couches de souvenirs qui se superposent. Et par un bizarre transfert, dans la magie du moment, les souvenirs montrés ou chantés finissent par nous appartenir, à nous aussi.

I’m from Rennes invente sans grandiloquence d’incroyables expériences psychiques.

Raoul Kalin

Samedi 15 septembre 2018, salle Guy Ropartz, le public hilare croyait applaudir, à s’en casser les phalanges, un match d’impro. Mais c’est en vérité un événement bien plus considérable auquel il a assisté. Vous voyez ce genre de petite graine mentale qui se développe à la vitesse de la lumière et secoue l’ordre du monde ? Enfin, pas tout de suite, tout de suite, au début on ignore l’événement. Il faut laisser le temps aux médias et aux intellectuels de s’emparer du concept et d’en mesurer la portée révolutionnaire. Je m’explique.

Nous venons d’assister à un événement historique.

Le match de samedi était agrémenté d’une fantaisie très I’m from Rennes, deux musiciens live dialoguaient avec les comédiens, ajoutant une touche d’imprévu à la corde tendue au-dessus de l’abîme où s’élancent, avec la légèreté d’un faon, des improvisateurs munis d’aucun plan B ni parachute. Ce match avait une seconde particularité : le match opposait l’actuelle équipe de la TIR à l’ancienne équipe, baptisée pour ce duel éphémère la RIT (Roazhon Improvisation Troup). Je ne divulguerai pas les confidences dans les loges, où l’on évoquait à bas mots les difficultés des organisateurs pour convaincre et réunir les membres de la TIR historique. Tous éparpillés, certains végétant dans des EPHAD miteux, d’autres ayant changé d’identité pour fuir le fisc, sans compter les reconversions dans l’hôtellerie de luxe dans des îles paradisiaques. Un long travail d’investigation qui aurait coûté, selon mes informateurs, un « fric de dingue ».

C’était donc ce soir-là une épreuve pliée d’avance où la jeunesse surentraînée, gavée de fortifiants, le torse bombé et le regard moqueur, allait découper en rondelles une bande d’ex-gloires du ring, fatigués par les abus de drogues et de sexe. A la fin du temps réglementaire, à la surprise générale, les équipes étaient à égalité de points. Cinq partout. Le dernier match, sur le thème « les choix d’Olga », fut emporté par la RIT. Les retraités venaient de donner une leçon aux actifs ! Le public ébranlé n’en croyait pas ses yeux. Stupeur, larmes, cris de joie ou de désespoir, un tsunami secoua les gradins. Moi-même, je mis quelques longues minutes à réaliser.

Nous venons d’assister à un événement historique. Il est désormais démontré que des vieux à la retraite peuvent faire aussi bien que de jeunes talents. Les compétences physiques, créatives et intellectuelles ne se dégradent pas avec l’âge ou le manque d’entrainement. Conclusion ? Des projections ont été réalisées dans la nuit de samedi à dimanche par une team de chercheurs en économie, sociologie et robotique. Les premiers résultats sont époustouflants. Nous disposons en France d’une réserve de 16 millions de retraités. En injectant ces forces vives dans l’économie, nous pourrions régler tous nos problèmes. Finis le stress des salariés débordés de travail et les débats sans fins sur les manques d’effectifs dans la police ou les hôpitaux. La France pourrait retrouver sa première place dans le concert des nations. Imaginez le centre d’appel d’un opérateur internet qui décroche à la première sonnerie ou un bureau de poste en centre-ville sans file d’attente. Une utopie ? Non ! Cette société épanouie et cool est possible grâce à la nouvelle main d’œuvre disponible des retraités. Cette idée, tellement simple et révolutionnaire, nous la devons aux comédiens de la Troupe d’Improvisation Rennaise. Ils nous ont démontré avec talent, samedi soir, que l’avenir se joue jeunes et vieux main dans la main.

Raoul Kalin